Coordination(s)
Dans certaines coopératives, on met en place une coordination pour faciliter l’organisation conjointe de plusieurs personnes et de leurs activités. La coordination vise à créer du lien (par exemple entre les services, les comités, des projets), mais sans nécessairement établir un lien de subordination hiérarchique.
La coordination peut prendre différentes formes. Elle peut être individuelle : on trouve alors une personne à la coordination générale, qui joue un rôle pivot pour harmoniser les projets, comités et activités. Elle peut aussi être collective : elle est alors incarnée par un comité de coordination (parfois appelé comité de gestion ou de direction) composé de membres qui se partagent la responsabilité de la coordination des activités. Dans certains cas, on trouve une combinaison d’une coordination générale avec un comité de coordination.
Certaines coopératives ont une coordination qui se superpose à un modèle horizontal, tandis que d’autres sont à la frontière d’un modèle avec une direction générale. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons volontairement intitulé cette section coordination(s) au pluriel.
Le profil des coops en coordination(s)
- Des coops avec une longue expérience (entre 10 et 30 ans*)
- Des coops de taille moyenne (12 employé·es en moyenne*)
- Certaines coops qui intègrent des personnes aux profils assez variés (en termes de métiers, de statuts, d’intérêt pour la gestion et les responsabilités, etc.)
- Des coops situées dans les grands centres urbains mais également en région*
- Des coops qui se structurent tout en conservant une certaine horizontalité
* Ces données sont issues d’un sondage du Réseau COOP réalisé en 2022.
Pourquoi les coops adoptent un modèle en coordination(s)?
Diverses raisons font que certaines coopératives de travail ont choisi ce modèle. En voici les principales, dans les mots des personnes ayant participé à la recherche :
Croissance et spécialisation de tâches (volet opérationnel)
« Ils m’ont engagé à la coopérative pour justement mettre de l’ordre. Au départ, les membres travailleurs faisaient le bureau et l’administration à temps perdu. Et quand ils ont atteint une certaine taille d’entreprise, ça ne fonctionnait plus. Ils avaient besoin de quelqu’un un peu plus spécialisé là-dedans. […] C’était un peu lourd qu’ils passent plus de temps à faire du téléphone qu’à faire leur métier. » Coop en construction
Complexité de l’organisation de la coop, avec de nombreux comités (volet associatif)
« On a différents comités qui se chargent de tout un tas de sujets. […] Chaque département a une coordination, et la responsabilité des dossiers des comités est répartie aux différentes coordinations de départements. […] Pour les projets, on a des rencontres touch base toutes les deux semaines, des rencontres responsables de projet et comités de coordination à chaque semaine, et après pour la gestion de la coop, ça va être les comités de coordination et le conseil d’administration. » Coop en communication
Différences d’intérêt et de volonté d’implication
« Je me suis trouvé un peu par défaut à être président du conseil d’administration. […] Ça prend quelqu’un, donc j’ai pris la balle au bond et j’ai appris sur le tas, je n’avais juste pas le choix. C’est comme ça que je me suis retrouvé au niveau du conseil d’administration et au niveau de tout ce qui est la coordination, c’est un peu relié ensemble. J’ai offert à une autre personne dans l’équipe de prendre la place, mais ça ne se bat pas pour reprendre le chapeau. » Coop en services-conseils
« Je pense qu’il y a comme un leadership qui s’est pris naturellement, parce qu’on est les fondateurs ou parce que c’est ça qui nous intéresse. Si on faisait un organigramme, j’ai comme le feeling qu’on est au-dessus, mais en même temps, on ne va jamais prendre une décision qui va contre l’intérêt des autres. » Coop en microbrasserie
« Les travailleurs, peut-être du fait de l’espèce de noyau [des membres plus actifs depuis le début] qui est là, ils ne veulent pas entrer là-dedans. » Coop en commerce, restauration, hôtellerie
Pression externe
« Pour tout ce qui touche à la communication, il faut être assez réactif. Il faut qu’on puisse prendre des décisions et les prendre rapidement. Et c’est important que chacun sache où est sa place et qu’est-ce qu’il doit faire. En ayant ça en tête, ça permet de travailler vraiment beaucoup plus vite. La démocratie, on le sait, ça prend du temps, c’est le temps long. Et en communication, on n’a pas le temps, donc on n’a pas vraiment le choix que de fonctionner avec deux types de processus différents. » Coop en communication
Le rôle d’une coordination
Dans certains cas, alors que la clientèle de la coopérative s’élargit, la coordination agit comme point de contact pour traiter de manière plus efficace les interactions avec l’extérieur. La coordination peut ensuite diffuser l’information et organiser plus facilement le travail du reste de l’équipe : gestion des horaires, pilotage des projets, distribution des tâches, etc. La coordination permet dans un tel contexte de faciliter la gestion des opérations et du volet administratif de l’entreprise.
« Au niveau de la coordination, c’est moi qui m’assure que toutes les techniciennes ont de l’ouvrage. S’il y en a une qui dit qu’elle a un peu de temps de libre, je vais lui donner les nouveaux dossiers qui entrent. » Coop en services-conseils
On peut aussi voir émerger une coordination quand une coop a un nombre de membres, de comités ou de services important. La coordination joue alors un rôle de facilitatrice pour fluidifier les communications dans une structure complexe. C’est en quelque sorte la personne (ou le groupe) qui est au courant de ce qui se passe dans les différents comités et agit à titre d’interface, de liant. La coordination permet de relayer l’information, d’assurer une vue d’ensemble et de faciliter les décisions du collectif dans différentes instances.
« Donc la coordination pour moi, c’est quoi? J’essaye de rassembler tout le monde, j’essaye d’aligner les choses, de prendre des décisions consensuelles. » Coop en commerce, restauration, hôtellerie
« Mon travail [de coordination générale] va beaucoup plus dans l’organisation de la gestion de la coop, de l’aspect plus des prises de décisions, de l’organisation, des politiques d’organisation du travail, ce genre de choses. » Coop en communication
Quelle que soit la forme choisie, la coordination vise à optimiser le fonctionnement global de la coopérative, que ce soit sur le volet opérationnel, stratégique ou organisationnel. Elle peut être responsable de la gestion quotidienne des affaires de la coopérative, de la coordination entre différents comités, services ou secteurs d’activité, ainsi que de la communication interne et externe.
Le cadre de la coordination
La coordination peut parfois être assumée par défaut, vu la facilité et l’aisance naturelles de certain·es membres avec l’administration, l’ancienneté ou le leadership. Tout de même, pour les coopératives qui optent pour la coordination, le choix d’une coordination est fait généralement pour affirmer une volonté de maintien d’horizontalité. En effet, certaines personnes ont explicitement distingué leur modèle de celui d’une direction générale en insistant sur l’absence de hiérarchie associée à la coordination :
« Des fois, pour des activités, il faut qu’on me donne un titre, celui de directeur administratif, mais ça vient sans hiérarchie. C’est plus une spécialisation des tâches qu’un lien d’autorité. » Coop en construction
« Nous on utilise le terme coordination générale parce que ça correspond plus à la philosophie qu’on voulait, qui est plus horizontale, on va dire. » Coop en communication
« Quand on est sur un fonctionnement très horizontal, ça fait que les gens adhèrent beaucoup plus au fonctionnement, aux règlements qu’on se donne. Et je dirais que plus les décisions sont prises collectivement, moins il y a de frictions. » Coop en communication
Nous l’avons mentionné précédemment, la coordination peut être assumée par une personne en solo (coordination individuelle) ou partagée (collective). Dans un cas comme dans l’autre, les décisions de la coopérative doivent être collectives. La coordination est là pour les faciliter, par exemple en assurant la circulation de l’information et en animant les échanges.
Clarifions le rôle de la coordination par rapport à d’autres instances, que ce soit d’autres comités, le conseil d’administration (CA) ou l’assemblée générale des membres. À nouveau, chaque coop a ses propres instances et modes de fonctionnement, mais dans les coopératives avec coordination rencontrées, la coordination solo et/ou un comité de coordination font remonter les décisions stratégiques vers le CA. Le CA peut à son tour les amener à l’assemblée générale, comme en témoignent les extraits suivants :
« Le comité de coordination, il réunit tous les coordonnateurs de départements et la coordination générale. […] Mais ce n’est pas un espace décisionnel, c’est vraiment un espace de travail. C’est un comité de suivi et de consultation pour que les informations puissent remonter au conseil d’administration, et ensuite de ça, se transformer potentiellement en proposition en assemblée générale. » Coop en communication
« Les discussions peuvent avoir lieu le lundi matin à l’entrepôt sur des débats, mais les CA sont maintenant aux deux mois environ et quand il faut voter des choses importantes, un nouveau prêt, vraiment un geste administratif, je ne peux pas juste le poser tout seul. » Coop en construction
« Toutes les décisions sont prises en assemblée générale. Le CA va prendre le pouls via la coordination générale qui joue le rôle de rassembler toutes les informations. […] La coordination générale va approfondir des pistes pour avoir une proposition concrète, puis le CA va ajouter cette proposition à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale, et c’est là que ça va être voté ou non. Mais la plupart du temps, il n’y a pas vraiment de raison que ça saute parce que ça vient justement de la base, ça vient répondre à des besoins de la base. » Coop en communication
Des images pour illustrer la gestion et la gouvernance en coordination(s)
Une image peut valoir mille mots! Nous avons demandé aux personnes participant à la recherche de nous résumer en un mot, une image, ce à quoi elles associent la gestion et la gouvernance, dans leur coopérative en mode coordination(s). Voici ce qu’elles ont exprimé :
Une image pour la gestion :
« C’est plus qu’un mot, c’est que quand quelqu’un a une idée, pour faire passer l’idée, il faut s’attendre à ce que ça prenne 1 an. » Coop en commerce, restauration, hôtellerie
« Je pense que le mot c’est surtout consensus. On n’est pas une grosse équipe, donc il faut que le monde adhère. S’il y en a un ou deux qui ne sont pas convaincus, c’est peut-être parce que le projet n’est pas prêt et on y reviendra plus tard. Mais si tout le monde n’adhère pas, ça ne fonctionnera pas. » Coop en services-conseils
« Je dirais, un peu organique. […] On n’organise pas les gens selon des tableaux [organigrammes], on essaie de dresser le tableau selon ce qu’on fait au quotidien puis tout finit par se créer graduellement. » Coop en construction
« Ce serait un bloc de pyramide, dans le sens où on va vraiment respecter le savoir-faire de chacun. Par contre, dans l’ensemble, on a quelque chose qui est très horizontal, il n’y a pas de leader global sur un projet, mais il y a plusieurs leaders en fonction des spécificités des projets. » Coop en communication
« Je voyais pleins de billes, avec pleins de couleurs, que l’on met toutes ensemble. Et tout roule, ça se déplace et ça finit par s’agencer. L’apport de chacun finit par construire quelque chose. […] Ce n’est pas aussi organisé qu’un engrenage, mais ce n’est pas non plus libre. J’imaginais un contenant, et ça bouge un peu là-dedans. » Coop en microbrasserie
Une image pour la gouvernance :
« C’est la phrase “on va moins vite mais on va plus loin”, qui est souvent reprise pour les coops. C’est un peu plus lent, mais l’adhésion est plus forte. Sur le long terme c’est plus efficace, c’est vraiment comme un investissement à long terme. Nos fameuses réunions à tous les lundis, c’était lourd, mais graduellement, quand toutes les visions finissent par s’aligner, après ça roule tout seul. » Coop en construction
« C’est une route en bateau, autant ça peut s’enligner droit autant ça peut tourner dans tous les sens. » Coop en services-conseils
« J’imaginais une sorte de marguerite. On est chacun un pétale de la marguerite, tous égaux avec la même place, mais en même temps on est tous un peu différent. Une espèce de place égale mais un peu différente. Et on est réunis autour du cœur, qui est la coop. » Coop en microbrasserie
Les conseils des coops en coordination(s)
À la fin de chaque entretien, nous avons demandé aux personnes de partager avec nous leurs conseils pour d’autres coopératives. Dans certains cas, les conseils étaient très liés au modèle choisi. Dans d’autres, les témoignages sont applicables peu importe le modèle. Les personnes issues d’une coopérative en coordination(s) insistent notamment sur l’adaptation du modèle aux membres, la clarification des rôles mais aussi l’alignement des visions et le recrutement lié aux valeurs
Un modèle qui ressemble aux membres
« Il ne faut pas que les membres aient peur de donner à la coop de leurs propres couleurs. Il n’y a pas de recette miracle. Une coop applique d’une façon, moi d’une autre façon, et les deux fonctionnent bien. Il faut être un peu un caméléon et s’adapter à nos équipes de travail pour voir comment ça peut fonctionner. Le but c’est que tout le monde évolue et que tout le monde soit heureux. » Coop en services-conseils
« Dans le fonctionnement, il faut vraiment y aller avec le groupe qui est là. C’est le groupe qui décide si c’est plus en coordination, en direction, en autogestion. Je ne pense pas qu’il y a un modèle qui est meilleur qu’un autre. Ce sont les gens qui sont là qui décident ce qui convient mieux selon la personnalité, l’organisation… » Coop en commerce, restauration, hôtellerie
« Je pense qu’il faut vraiment que cette structure soit malléable et qu’elle s’adapte aux personnes qui sont présentes. […] Ce n’est pas le noir ou blanc. […] Mais je pense que ça prend du temps aussi et il faut expérimenter et laisser de la place pour améliorer les choses ou remettre en question le modèle décisionnel. C’est une bonne affaire aussi. » Coop en microbrasserie
Clarifier les rôles, responsabilités et attentes
« La première chose, c’est de bien définir quelle est la mission de l’organisme. Après ça, c’est de bien définir le rôle de chacune des instances et l’implication de chacun des membres dans ces différentes instances, qu’est-ce qui est du ressort de qui. Et aussi de bien former l’ensemble des travailleurs et des travailleuses sur les procédures démocratiques, en assemblée générale notamment, et de ce que ça implique. » Coop en communication
« Nous, on a déjà embauché des gens et on était tout fiers de leur offrir un cadre flexible avec de l’autonomie, puis ça a été un fiasco absolu parce que justement ils venaient d’un milieu rigide. […] Donc toi, ce que tu penses offrir comme étant un avantage, pour quelqu’un d’autre ça peut créer complètement de l’insécurité. Ça fait partie des attentes à définir aussi. Et il peut y avoir de la place pour des gens comme ça dans un groupe, mais il faut juste que tous les rôles et les attentes soient compris par tout le monde. » Coop en construction
« Je pense que définir une structure, sans forcément aller dans un truc hiérarchique ou rigide car cette structure peut être appelée à bouger et à se moduler, mais je pense que si on définit bien le rôle de chacun, que ce soit de manière temporaire ou permanente, si on définit bien les tâches, les rôles ou comment on prend les décisions, ça facilite vraiment la vie par après. […] Mieux on définit les rôles, mais aussi les attentes de chacun, plus facile. […] Parce qu’on se rend compte aussi que certains sont heureux dans un système hiérarchique, avec un cadre, une structure, c’est clair. » Coop en microbrasserie
Aligner les visions
« Il faut que ça soit vraiment clair pour tout le monde au début, parce que si ce n’est pas clair, on part dans tous les sens. Tout le monde pense qu’il s’en va dans la bonne direction, mais tout le monde s’en va dans différente. Donc c’est vraiment de clarifier le tout. » Coop en commerce, restauration, hôtellerie
« C’est d’y aller graduellement et de ne pas ménager les efforts au départ pour aligner les visions. S’ils ne sont pas mis dès le départ, les dégâts peuvent être vraiment exponentiels par rapport à l’énergie qui n’a pas été mise. Je parle d’expérience. Il y a eu des scissions et c’était justement des fonctionnements ou des visions différentes qui n’ont pas été assez explorées au départ. » Coop en construction
Recrutement basé sur les valeurs coop mais aussi humaines
« En entrevue d’embauche, j’essaye de bien faire un survol de ce que c’est la coop, pour que les gens sachent dans quoi ils s’embarquent. Et le but final, c’est d’avoir une job, mais aussi d’être impliqué dedans, parce qu’il y a une portion de cette job qui t’appartient. […] Et il faut vraiment que les gens comprennent la valeur et la mission de la coop, sinon ils passent à côté complètement. » Coop en services-conseils
« Le terme est un peu fort, mais je dirais de maintenir une cohésion affinitaire. Si on sort d’un organigramme rigide, d’une hiérarchie ferme, il faut que les gens soient un peu tous dans le même mood, ou qu’il y ait au moins des motivations et des intérêts qui convergent. Et d’y aller plus lentement dans la croissance ou dans l’adhésion, mais de s’assurer que la cohésion reste forte. Nous, on a des gens avec différents profils, mais ce qui maintient les gens ensemble est suffisant pour que la mayonnaise prenne. Et il y a probablement une limite maximale de nombre de personnes pour que ça continue à fonctionner comme ça, sans une cadre plus rigide. » Coop en construction
« Quand je parle de recrutement, ce ne sont pas les aptitudes professionnelles ou les compétences à exercer n’importe quel métier. C’est vraiment la capacité à fonctionner selon les règles du groupe, qui varient d’une coop à l’autre. C’est de s’assurer que la greffe fonctionne. Et quand il y a des vagues d’adhésions, ça devient un peu difficile. Nous on a longtemps été 5 habitués à fonctionner ensemble et les débats ont été faits. Quand tout d’un coup il y a une sixième personne qui joint, c’est comme difficile, il intègre un groupe qui est déjà assez soudé, qui a déjà ses codes. Il faut mettre un effort particulier, sinon la personne peut avoir de la misère à joindre au groupe. » Coop en construction