Les tensions et paradoxes
Cette recherche a permis de mettre en lumière des tensions paradoxales qui pourraient bien nourrir vos réflexions sur votre organisation! De riches discussions en perspective…
- Stabilité versus improvisation
Le besoin et la volonté de stabiliser, de formaliser le modèle… tout en reconnaissant et valorisant la nature émergente et organique de l’organisation.
Associé à cette tension (parfois exacerbée par des bailleurs de fonds, par exemple), on trouve entre autres le défi de distinguer gestion (quotidienne) et gouvernance (plus stratégique), ainsi que les espaces, moments et membres à mobiliser. Souvent du côté des petites et jeunes coopératives, ces distinctions peuvent paraître artificielles : on décide de tout, tous et toutes ensemble, tout le temps! On veut expérimenter avant de stabiliser; on veut se permettre d’être dans l’informel aussi, mais divers éléments et contextes nous poussent à formaliser. - Ambition sociale versus contrainte économique
Le classique tiraillement entre les aspirations de transformation sociale de la coop… et le besoin de rentabilité économique.
Les coopératives de travail sont des entreprises alternatives. Plusieurs personnes veulent entreprendre autrement, expérimenter des modèles d’affaires différents. Pour plusieurs coopératives, c’est un défi de concilier la recherche de contrats, de client·es et de rentabilité tout en nourrissant, en même temps, une vie démocratique et un collectif humain fort (le volet « associatif » de la coop), en se versant des salaires à la hauteur des compétences et de l’engagement, ou en poursuivant une mission sociale fort ambitieuse. - Besoins et désirs individuels versus collectifs
Le principe d’égalité des membres… alors que les expériences et engagements peuvent varier au sein du collectif.
Ceci est évoqué dans différents cas de figure : présence de membres fondateur·trices dont les idées peuvent être plus influentes et le rôle dans la coopérative plus central (parfois contre leur gré et malgré leurs efforts de laisser la place!), disparité de l’intensité dans l’implication (certain·es membres dont la coopérative est l’unique source de revenus et d’autres pour qui c’est secondaire) ou des profils et aspirations (des personnes plus militantes qui souhaitent l’horizontalité et mettre les mains dans la gestion et d’autres qui sont passionnées par leur métier, mais n’ont pas envie d’en faire plus dans la coop).
En savoir plus : Comment passer de la gang de chums à l’entreprise
Ça vous dit quelque chose? Sachez que vous n’êtes pas/plus seul·es à expérimenter cela, que c’est normal.
Dans toutes les organisations, des tensions et des paradoxes peuvent être vécus. En effet, de nombreuses questions et situations suscitent des arbitrages déchirants entre des options qui peuvent être perçues comme opposées. Ce qui caractérise le paradoxe selon Wendy Smith et Marianne Lewis (2011, 2022), c’est qu’il implique des éléments contradictoires, interdépendants et qui persistent dans le temps.
Toujours selon elles, différents types de paradoxes peuvent été distingués : des paradoxes d’organisation (liés à la structure et aux processus, par exemple, entre centralisation et décentralisation); des paradoxes d’apprentissages (par exemple entre l’expérience et l’innovation); des paradoxes d’appartenance (liés par exemple à l’identité et aux tensions entre divers rôles à assumer) et des paradoxes de performance (associés à la pluralité des parties prenantes et de leurs attentes).
Bien que toutes les organisations en fassent l’expérience, les paradoxes sont constitutifs des organisations alternatives. Les coopératives offrent en effet un terrain particulièrement fertile aux paradoxes et aux tensions qui les accompagnent. Partant des quatre types de paradoxes définis par Wendy Smith et Marianne Lewis, Luc Audebrand, Annie Camus et Valérie Michaud (2017) ont tenté de voir comment ces catégories résonnent pour le modèle coopératif et présenté une figure.
Malgré les défis qu’ils posent, quand on les accepte et qu’on apprend à « vivre avec », les paradoxes sont aussi source de créativité. Et la bonne nouvelle, c’est qu’en coopérative de travail, on a le pouvoir et les espaces de dialogue pour y réfléchir et en discuter.